C’est l’histoire d’un homme, un homme comme un autre.

(Photo issue de la série Us Stop réalisée à Bruxelles)
Cet homme est un artiste. Il a toujours été artiste. Mais depuis quelques années, il est bloqué. Il est coincé, car il n’arrête pas de réfléchir à ce qu’il doit faire et du coup il ne fait plus rien.
20 h 12, il regarde la télé, enfin YouTube qu’il a mis dedans. Il trouve ça fascinant de pouvoir ajouter des applications dans sa télévision. Il connaissait la télé quand il y avait 3 chaînes, alors aujourd’hui il est époustouflé par cette technologie. Il ne comprend pas comment ça marche, mais ce qu’il sait c’est qu’il a le choix. Cependant le choix, ça l’angoisse un peu. Il préférait avant, c’était moins déroutant.
Là à 20 h 12, il va regarder une vidéo mais depuis 20 h 11, une pub passe et le dérange beaucoup. C’est une pub qui dure une éternité. Ce spot lui rappelle qu’il n’a pas beaucoup d’argent et lui indique LA solution pour être riche.
Il a l’impression que sa cervelle va flamber.
En général, cet homme a de bonnes idées, mais elles restent souvent dans son cerveau. Elles finissent par faire un amas de boue croupissant. Et ce tas de terre obstrue au fur et à mesure sa vision. Tout devient compliqué. Depuis quelques années, le truc le plus simple est une affaire d’État. Tout prend une importance démesurée. Cette crasse dans le crâne lui embrouille l’existence. Quand il se réveille le matin, il pense déjà à quelle heure il pourra se coucher pour rattraper son sommeil en retard. Le soir, quand il va dormir, il se dit qu’être au lit signifie qu’il ne fait plus rien et du coup ça lui est insupportable.
Il n’arrive plus à prendre de décisions et se retrouve parfois à tolérer tout, même l’inacceptable. On décide pour lui tant il prend de temps de choisir et se retrouve à faire des choses, manger des aliments qu’il déteste.
Il fait du surplace, collé au bitume. C’est ça, il ne décolle plus. Il a pourtant décollé, un temps. Mais aujourd’hui, il se demande si ce n’était pas les drogues qui lui donnaient cette impression d’envol.
Pourtant, il continue de créer, de produire, mais c’est plus comme s’il papillonnait. Il ne signe plus son travail artistique depuis longtemps, car il se dit qu’il pourrait faire mieux.
Toutefois, il y a 20 ans, il a trouvé une solution confortable pour répondre à ses angoisses matérielles : il a été embauché à la FNAC au rayon Culture. Il a désormais un salaire et baigne ainsi indirectement dans son environnement.
Mais ce soir, ce n’est plus suffisant. Cette publicité a déclenché un évènement inattendu. Et là il sent qu’il y a urgence, urgence, car il se rend compte qu’il est à la moitié de sa vie. Il regarde l’heure pour se rappeler de son âge, c’est vous dire son état de stress. « Quel âge ? Mais Bon Dieu j’ai quel âge ? » Il réfléchit et finit par interpeller son épouse.
⁃ Lui : « Chérie, j’ai quel âge déjà ?
⁃ Elle, dans l’autre pièce tout en jouant avec leur fils : “Oui, oui.”
⁃ Lui : “Non, mais j’ai quel âge ?”
⁃ Elle “Quoi ? Toi ?”
⁃ Lui : “Bah oui, moi.”
⁃ Elle : “49.”
Choqué, son visage se fige : “Putain, 49. Il faut que ça change.”
Comment s’y prendre ?
Parce qu’il bosse comme un taré ce bougre. Il fait, il fait et il fait, il ne fait que ça de faire d’ailleurs. Mais rien ne se fixe. À peine il crée quelque chose qu’il le balaie de son existence et se concentre sur autre chose “de plus important”.
Donc, comment s’y prendre ?
Ou peut-être, comment s’arrêter sur l’essentiel, son essentiel à lui, fondamental ? Car il faut l’avouer, il fait, mais ce n’est jamais très profond, c’est toujours en surface. C’est souvent joli, mais pas vraiment beau. C’est parfois chargé, mais un peu creux. Dans son monde, c’est une goutte d’eau qui ne fait pas déborder son océan, son océan du vide.
Du vide.
Par contre, il vend.
Au rayon Culture, il écoule bien les stocks. C’est un employé modèle. Il arrive à vendre des ouvrages très chers, il refourgue même pas mal de “goodies”. Il connaît tout ce qui s’écrit sur l’art, il connaît par cœur l’histoire de l’Art et il sait faire la promotion d’artistes célèbres. En rentrant le soir du boulot, il est satisfait. Il a gagné sa journée, il sait qu’il aura 10 % de crédit sur ses futurs achats, car il est un bon employé. C’est donc plutôt une réussite.
20 h 13, confortablement installé dans son canapé, la pub est terminée, sa vidéo commence enfin.








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