C’était à Rennes, à l’université. Début des années 90, la Fac d’Arts qui nous apportaient un autre regard sur la culture. Une administration avec ses orateurs, des intellectuels passionnants qui distribuaient leur savoir dans des amphis engagés. J’aimais ce dispositif d’être ainsi vierge de connaissance et de venir me remplir comme un verre de bière sans pression. Et pourtant, bien des années après, ce n’est pas cet apprentissage qui est le fait le plus marquant de ma vie étudiante. C’était plus l’enveloppe de ces années qui me fait écrire aujourd’hui.
Ayant pu vivre ces études grâce à de nombreux emprunts bancaires que je ne cessais de me remémorer à chaque début de mois, j’y ai vécu des passages de temps terriblement fascinant. Simple mais fascinant. Quand nous partions le jeudi soir dans la rue de la soif, comme des chefs d’orchestre à chaque troquet, les rencontres étaient époustouflantes. Nous partions les amis réunis et finissions entourés de nouveaux inconnus, parfois même chez eux.
C’était des moments privilégiés où l’excessif était synonyme de normalité. Il n’y avait aucun but en soi que de partager. Mais c’était déjà apprendre.
Quand celle que j’aimais ne m’accompagnait pas dans ces soirées expérimentales, je me souviens de ce plaisir d’aller la rejoindre au petit matin, traversant la ville presque déserte, croisant parfois le marché qui s’installait place des Lices. La marche titubante, je trouvais le courage d’avancer en me concentrant dans le seul but à cette déambulation qui était de la rejoindre. L’excitation et le bonheur de savoir que nous nous aimions, aucun abandon ne s’effectuait entre le bar et son regard. Alors j’arrivais près de chez elle, le ventre chatouillé, et rentrais discrètement dans son appartement.
Un petit son, émanant de son lit, me rappelait – comme si je l’avais oublié le temps de cette seconde pour mieux l’apprécier – qu’elle était belle et bien là… dans son sommeil. Ce petit bruit témoin du plaisir incertain de me voir arriver dans son intimité.
J’ôtais mes vêtements aux milles cigarettes et me glissais dans sa couche.
La chaleur de son corps n’avait pas de mot, le long de son dos, je n’avais qu’elle comme but réaliste dans ma vie.
Au petit jour, aux sons des oiseaux à jeun et matinaux, je me réveillais la tête décomposée mais le temps d’un regard, je prenais à nouveau conscience que celle que j’aimais était dans mes bras. Elle était et sera pour toujours l’émotion à jamais gravée, un tatouage breton apparu lors d’une cuite oubliée.
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