Il s’était choisi un pseudo un peu bobo : Alceste_53, avait mis en ligne une photo soigneusement sélectionnée puis s’était mis à passer en revue des profils inconnus.
Il avait pour objectif de revenir au réel, mais un réel qu’il mettrait lui-même en scène. Il avait envie de voyager sans trop bouger et de se balader en dehors de sa réalité. Rester anonyme dans la rue était pour lui confortable mais devenir auteur d’une rencontre cela devenait à ses yeux une toute autre histoire. Alors, comme un défi, il rêvait d’écrire un scénario intime avec une femme. Ne voulant pas pour autant obligatoirement bouleverser sa vie, il s’était promis de satisfaire un besoin irrépressible d’une nouvelle entrée en je.
Après plusieurs échanges, il avait réussi à se connecter avec une certaine Marjorie. Ils avaient échangé plusieurs messages et il s’était vite aperçu qu’elle était bien trop intelligente pour lui. Cependant après plusieurs tentatives, il avait réussi à obtenir une photographie d’elle. On ne la voyait que de dos, mais il était persuadé en scrutant son profil qu’elle était celle qu’il recherchait. Il avait cependant du mal à chaque correspondance, car chaque mot qu’il déposait le pétrifiait et chaque phrase qu’il recevait l’intimidait. Alors, pour ne pas se perdre en route, il décida qu’il fallait se rencontrer au plus vite. Il l’invita à passer le pas et elle accepta sans hésiter. Ils prirent ainsi rendez-vous le lendemain, un jour en pleine semaine, une après-midi.
Le jour J, il ferma la porte à clef de son appartement et sortit de l’immeuble disponible et décidé.
« Nous allons nous rencontrer. Je descends dans le métro et m’assois dès que je trouve de la place. J’aime le métro, on est anonyme, je reste très discret. Je m’aventure à regarder les gens qui passent et je les attrape sans même les retenir. Je leur donne un rôle, cela ne les affecte pas, ils ne le savent pas et ne le sauront jamais. Profiter de tout ces instants qui nous échappent déjà, c’est enrichissant. On est toujours en contact avec l’absence, on se retourne et c’est déjà fini.
Ce n’est pas dimanche aujourd’hui, j’aime de plus en plus les dimanche à Paris.
C’est quoi l’adresse du rendez-vous ? C’est dans un bar.
Je m’installe en terrasse, au St Jean, rue des Abesses. Je reconnais des visages, les clients me sont familiers.
« Pardon, vous avez du feu ? », une excuse en introduction à défaut d’un échange compliqué, ça commence mal le rapport social, je ne vais pas me faire balader.
Elle n’est pas encore là. Rendez-vous, j’ai rendez-vous avec elle, je suis un peu stressé et si… tiens là-bas c’est elle ? Non.
Je bois mon café.
Le téléphone sonne, j’entends pour la première fois sa voix. Bon, notre rendez-vous est un peu décalé, elle est en retard mais au moins, elle arrive.
A nouveau seul, je guette autour de moi. C’est comme un film qui commence, je suis le héros et je me laisse faire, plein de pensées se bousculent. C’est fou, quelques échanges sur Internet et là nous allons nous voir. C’est vraiment surprenant, les nœuds de nos échanges écrits nous amènent ici.
J’ai l’air con, là. Je suis seul, j’attends. Vidé de ce retour de mots. Le thème du t’aime. Attente. Suspendu, ça passe. Eux. Elles : les secondes. Les mots. Elle vient. J’attends. Je l’attends. C’est fou. C’est tout. C’est tant. C’est peu. C’est dit. A dire. Un peu. Bien flou. Impossible, c’est ciblé sans. Je guette les femmes qui passent pour la reconnaitre. C’est elle ? Non, peut-être elle ? Voire elle ? Sur qui tout va s’arrêter et commencer ? Attendre voir. Peut-être pas. Ça passe, trépasse. Angoisse. On ne se lasse plus de ces inconnues. 1, 2, sur quoi conter ? Fiction ? Réalité ? Internet pas net. Peu de quiétude. Qu’est ce qu’elle fout, peut-être elle s’en fout, peut-être elle ne viendra pas ? Je m’arrête. Je regarde. Epier. Un trip de vie. Drogue douce aux effets durs. Le bar se vide ?
Ça sonne, cette fois-ci c’est elle. Je la vois au loin le téléphone à la main. Je reconnais son dos.
Nous buvons, nous parlons, nous nous amusons.
Elle m’invite chez elle.
Pénétrer dans un appartement inconnu.
Souci du détail. Pêcher des images, les siennes. Comme des séries d’événements uniques, je tente de les retenir.
Elle me montre un salon, une cuisine et me présente sa chambre.
J’aperçois au mur une photo. C’est elle avec un homme, ils sont enlacés. Elle me voit qui voit. Elle s’arrête alors de parler et me regarde fixement. Elle ne dit plus rien mais ses yeux m’interrogent. Je ne dis rien et ne suis plus du tout intimidé, je suis désormais complice. Elle comprend. Je lui souris tendrement, elle me sourit assurément. Une chaleur nous envahit, l’espace environnant se met à vibrer et un souffle invisible nous ferment les yeux.
Et là,
Tout se perd ou peut-être se gagne, je ne sais plus et ne veut pas le savoir.
Nous nous penchons l’un vers l’autre et très vite des baisers naissent enflammés. La danse de l’instant vient de s’élancer. Il n’est désormais plus question de convenabilité, des corps nus ont décidé de se découvrir vite, bien vite, très vite. Mes complexes flirtent sûrement avec les siens, mais tout semble être en bon accord, alors à quoi bon en faire un sujet ? L’objectif est ailleurs et il est inexistant. Cependant, ne pouvant les empêcher, des pensées viennent m’envahir l’esprit et tenter de me faire rationaliser la beauté de cet emballement. Elles me rappellent que ce ne sont que des mots échangés sur Internet qui sont responsables de ces étreintes. Elle me jugent en me disant que ces syllabes virtuelles étaient bien légères et peut-être n’étaient destinées qu’à obtenir de la sexualité… Et alors ? Oui et alors ? J’interroge mon esprit et lui demande quel est le réel intérêt de son intrusion ? Que dois-je faire de ces langues qui se perdent et se retrouvent dans une salive en fusion ? Non, non, tu ne m’auras pas cette fois. Ici, il n’y a que du moment, du plaisir et du don, un accord. Va faire ton boulot ailleurs, ta morale n’est pas conviée.
Courageusement, nous avons décalé les questions à demain et leurs réponses encore plus loin.
Pour l’heure, nous savons que tout est rapide, que tout va très vite, que tout se dilapide, que le drame du Monde est toujours derrière les rideaux et que notre histoire est sûrement improbable… Soudain ma main lui touche le bas du dos. Son dos nu.
Je me sens vampire et, dans son regard, elle me dessine sciemment une innocence. Nous nous jouons en confiance. Notre accord se forme dans notre abandon total au moment. Implicite, nous savourons totalement nos corps délivrés et en chœur nous nous abandonnons au chant frénétique d’une totale liberté. Nous découvrons nos odeurs à l’orée d’une pénétration. Le désir salive, les effets d’échange sont immédiats, sans style, nos dictées sont celles de l’appel au plaisir, nous nous y livrons sans reçu. Comme des vagues sensuelles, notre marée monte et s’en échappe avec des sourires d’enfants jouant aux adultes.
Autour de nous rien ne bouge, les meubles sont posés, le stylo est éteint. Le seul mouvement : un jeu de prise en main, nos sexes ne se sont pas encore présentés, pour l’instant tout s’aiguise en surface. Nous ne prenons finalement pas le temps d’en prendre et nous y perdons haleine.
Le temps de glisser l’armure contemporaine, nous sommes prêts à rentrer dans une valse intérieure.
Mais en un rien de temps, ses yeux changent de teinte, je l’interroge les lèvres fermées et je marque alors un arrêt. A l’écoute de ses désirs, notre silence s’échange et la rassure. Un léger sourire éclaire son visage, nouvel éternel souvenir, je ne peux que le couvrir d’un baiser. Nos lèvres sont ensuite disposées à s’éloigner et, clairement, elle me dit oui.
Alors, je descends sur les strates de son corps et m’approche, soupirant, vers le bas étage. Avant d’accéder aux parties cachées de la foule, je dépose un baiser à la hauteur de son cœur qui aspire son soupire. Je reprends la route et nos lèvres se rencontrent dans un plaisir à la fois muet et bestial. Passionnés, nous nous renaissons. Le plaisir démaquillé, chassé de toute mauvaise conscience, nous sommes prêts à célébrer la fusion de nos corps.
Alors, les pièces assemblées, l’image de notre amour est constitué pour enfin nous abandonner à écrire ensemble le chapitre dans sa totalité. Ecrire jusqu’à la dernière page, celle qui n’a aucun mot que celui de célébrer la délicate force de nos plaisirs les plus secrets. »
Leave A Reply